L’aménagement d’espace au service du co-produire

Andréa Dague et Diane Darbon

L’aménagement d’espace au service du co-produire

Des tiers-lieux qui répondent à de nouveaux besoins en immobilier de bureaux plus flexibles pour des travailleurs indépendants, à plusieurs ou pour de nouveaux usagers.

Co-produire ensemble et animer l’émulation entre les utilisateurs d’un tiers-lieu.

En juin 2017, la métropole européenne de Lille lance « l’appel à projet permanent tiers-lieux » afin de mettre en place des dispositifs créatifs et contributifs sur le territoire lillois. Dans ces candidatures s’inscrivent des projets d’ateliers et d’espaces de travail partagés. Ces espaces de co-working réunissent des travailleurs indépendants qui mutualisent des ressources spécifiques liées à une typologie de métiers. Il s’agit pour les professionnels de proposer leurs idées afin de réinvestir l’espace et d’inclure d’autres usagers.

Un tiers-lieu c’est l’espace intermédiaire entre le travail et le domicile

Qu’est-ce qu’un tiers-lieu?

La notion de tiers-lieu vient du sociologue américain Ray Oldenburg. Il parle de ces lieux hybrides qui ne relèvent ni du domicile, ni du travail et qui se situent entre l’espace public etl’espace privé. Le but est de pouvoir échangerde façon informelle. Ces espaces sont différents en fonction de l’acteur qui porte le projet. Dans le cadre de Lille Capitale Mondiale du design, c’est la métropole européenne de Lille qui encadre les projets tous différents et réunis ses propres formes de collaborations.Ce qui nous intéresse c’est la façon dont l’espace de travail peut être organisé afin de créer des nouvelles formes de contact et de réunir les usagers d’un même espace. Pour ce faire, il s’agit d’étudier l’adéquation entre les animations ou l’installation provisoire de particuliers et un espace de travail grâce à un mobilier innovant et flexible.

Tiers-lieu et aménagement de l’espace

Le tiers-lieu traite de réalités multiples, les politiques publiques défendent l’idée d’un urbanisme qui ne soit plus le patrimoine exclusif d’experts mais au contraire qui permette la collaboration entre lesusagers hétérogènes et l’autonomisation de ces usagers une fois le projet achevé. Les tiers-lieux sont les nouveaux enjeux dans la fabrique des villes contemporaines.

Il sera alors question de se demandercomment les acteurs-usagers sont-ils amenés à investir et à s’approprier un tiers-lieu ? Dans quelle mesure un tiers- lieu polyvalent grâce à un mobilier malléable pourrait-il permettre à des acteurs qui, a priori, ont des besoins et des usages divers, voire incompatibles, à être ensemble ? Nous verrons donc le rôle central qu’un mobilier conçu pour, et en partie, par les usagers peut avoir au sein d’un tiers-lieu, pour favoriser le « co-produire » et de quel manière l’aménagementde l’espace peut modifier les interactions habituelles sur le lieu de travail.

Comment inciter à la collaboration et quel rôle les tiers-lieux tiennent-ils

dans cette démarche?

L’heure est à la collaboration dans les villes, dans les quartiers pour favoriser le travail en commun. Mais pourquoi cette démarche est-elle devenue un objectif phare des territoires attractifs qui veulent s’ancrer dans une nouvelle réalité ? La collaboration a pu disparaitre de nos villes car, selon Jane Jacobs (The death and life of great American cities) les villes ont connu une spécialisation de leurs territoires. Des individus qui avaient les mêmes intérêts, les mêmes trajectoires de vie et les mêmes ambitions se sont regroupés aux mêmes endroits. Les exemples les plus criants peuvent être la Silicon Valley ou encore les campus universitaires comme celui que tend à être le plateau de Saclay en France. Ces spécialisations des territoires ont favorisé l’entre soit et ont donc reculer les possibilités de collaboration entre profils différents.

Le mouvement d’incitation collaborative va tenter de corriger cela en faisant se rencontrer des personnes qui n’étaient pas amenées à se rencontrer d’ordinaire à cause, notamment, de leur ségrégation spatiale induisant souvent une ségrégation sociale. Dans la rencontre de ces populations qui ne se côtoient peu, les tiers-lieux représentent une grande opportunité de rassembler. En, effet les tiers-lieux offrent un espace de rencontres et de mise en commun premièrement par le simple fait de proposer un lieu dédié pour cela. Ray Oldenburg, professeur américain de sociologie urbaine et auteur de l’incontournable sur ce sujet The great good place, présenteles tiers-lieux comme inhérents à la construction d’un sentiment de communauté et de sens commun sur un territoireréduit.


Quelle place pour le design ?

Selon la 29e Assemblée générale à Gwangju dirigée par le « Professional Practice comittee » au sein de la « World Design Operation »,  » Le design est une méthodologie de résolution de problèmes qui permet de piloter l’innovation, développer la réussite des entreprises, menant à améliorer notre qualité de vie.  » Le design peut être ancré dans des secteurs d’activité purement matériels mais peut également toucher des secteurs tels que l’économie, les politiques sociales, publiques et locales. Le Design est un outil qui permet de relier des dispositifs ou entités préexistants à de nouvelles innovations. La finalité que représentent ces innovations sera rendue possible au terme d’un processus qui vise à mettre l’humain au cœur des réflexions. Des analyses et des enquêtes de terrain sont réalisées, ainsi que des entretiens avec les utilisateurs. De manière générale, plus encore ici dans la coproduction,les futurs usagers sont invités et participent à la conception des nouvelles innovations qui formeront leurs usages.

Afin de vérifier l’application de la mise en place de tiers-lieux, Lille Capitale Mondiale du Design encadre des acteurs moteurs du projet global. Comment la ville collaborative et les tiers-lieux s’articulent-ils dans de nouvelles considérations d’aménagement de l’espace ?

St So Bazaar c’est quoi ?

C’est un projet de tiers-lieutisation de la friche industrielle de la gare St Sauveur. La ville de Lille achoisi d’investir ce lieu fort de ces 5000 m2 pour en faire un tiers-lieu. C’est-à- dire un lieu de rencontres et d’innovations entre des populations qui ne se rencontrent pas d’ordinaire. St So Bazaar sera composé d’un espace réservé aux professionnels suivant un système de bail de locaux, d’un espace de co-working libre ainsi que d’une cafétéria et d’un espace d’exposition.

Kappla mobilier c’est quoi ?

Kappla mobilier est un projet créé par deux designers suite à un appel à projet « Tremplin Design » dans le cadre de la nomination de Lille Métropole 2020, Capitale Mondiale du design. Les deux designers ont imaginé un mobilier malléable et flexible qui puisse se transformer en fonctiondes besoins des usagers. C’est d’ailleurs ce qui a inspiré leur nom en référence au jeu de construction en bois. On peut par exemple  imaginer des blocs sur roulettes, des banquettes qui puissent se transformer en paroi si besoin.

Dans la démarche des designers, ces mobiliers transformables doivent être imaginés en collaboration avec les futurs usagers, pour cela elles organisent des ateliers en petit comité où elles les convoquent.

Dans les tiers-lieux il y a deux dimensions importantes ; la «co-localisation» et la «co-construction». Pour Oldenburg, les tiers-lieux sont traversés par deux flux : le flux social et le flux cognitif. Le flux social est le fait de réussir à regrouper des personnes d’horizons différents et qui ne se rencontrent pas dans leur quotidien. Le flux cognitif, quant à lui, est la capacité que vont acquérir ces acteurs à réfléchir et créer ensemble. En somme, en plusde se regrouper géographiquement, ils vont s’associer pour créer ensemble.

Cette dimension est notamment rendue possible par la mise à disposition d’outils favorisant la création. Kappla Mobilier en proposant un mobilier malléable et flexible s’ancredans cette perspective. Les deux designers à l’origine de ce projet ont imaginé un mobilier pour aménager un espace de façon à ce qu’il corresponde à chaque usager et qui ai été conçu pour eux mais aussi avec leur collaboration. Sur des projets précédents, les deux designers ont déjà réalisé cette collaboration grâce à des ateliers participatifs et la technique du «story telling». Le story telling va permettreaux participants de raconter leurs histoires, des fragments de vies. Par ce processus, les designers comparent les témoignages et font ressortir des attentes similaires et des besoins communs.

Saint So Bazaar s’est emparé du projet Kappla Mobilier afin d’y investir les 5000 m2 de cette gare désaffectée. Pour créer une communauté créative entre artisans et travailleurs intellectuels, il faut une structure externe vacante et scinder l’espace grâce aux modules qui peuvent être déplacés à l’infini. L’intégration de Kappla Mobilier au projet de St So Bazaar favorise le flux cognitif et donne à cet espace de rencontres une autre dimension. Au-delà de sa collaboration avec Kappla Mobilier, cette innovation permettra à des professionnels d’investir le lieu pour leur travail et pour stimuler leur créativité. De plus, des espaces ouverts au public verront aussi le jour avec une cafétéria, un espace de co-working à la journée ou encore des lieux de vie qui rendent possible une plus grande diversité et une plus grande entente entre différents acteurs. La diversité et le renouvellement sont au cœur des projets de tiers-lieux afin d’élargir le spectre des possibles.

Cette approche permet de développer des espaces en perpétuel ré-aménagement ce qui diffère par rapport aux structures et aménagements traditionnels qui, une fois installés, sont très difficiles à modifier.

Les défis qui restent encore à relever

  • Faire vivre une réelle communauté

Pour réussir à faire vivre une vraie communauté il faut que les usagers investissent l’espace durablement. Cet investissement commence au moment de la conception du tiers-lieu, et de son aménagement mais s’étend aussi à desrelations et échanges qui se pérennisent dans le temps. Pour ce qui est de l’investissement dansla conception, il est parfois compliqué de mobiliser les futurs usagers notamment dans les ateliersde design car un sentiment d’illégitimité prédomine. Les futurs usagers s’imaginent que des compétences particulières sont nécessaires pour participer ce quipeut les bloquer.

Ensuite pour pérenniser les échanges, les espaces communs tels que ceux présents à St So Bazaar comme les espaces d’exposition peuvent être de très bons vecteurs de rapprochement et de socialisation.

  • Inspirer la ville

Peu à peu, le coworking se fait une place dans l’aménagement du territoire, avec un impact direct sur son organisation. Saint So Bazaar est un bon exemple de réappropriation d’un espace public vacant. Pour prendre toute sa puissance, ce projet doit s’inscrire dans le territoire, être adapté aux problématiques locales et porter une vision mobilisatrice.

Cependant les limites de cette perspective peuvent vite émerger. Pourinspirer et influencer l’élargissement de la collaboration à l’échelle d’une ville il faut réussir à toucher l’ensemble de ces acteurs dans toute leur diversité. St So Bazaar qui parait, sur le papier, une excellente opportunité d’influence dans laville de Lille, se heurte en réalité à ses propres limites. En effet, St So Bazaar ne va pas ouvrir ses portes à tous les professionnels. Avant de sélectionner et valider des profils, ces mêmes profils sont présélectionnés, ce qui biaise la démarche d’intégration des acteurs. Cette limiteestdifficilement dépassable car les places sont forcément restreintes, pourtant, supprimer la présélection permettrait de s’ouvrir à des profils plus diversifiés.

  • Rallier les entreprises

St So Bazaar a interrogé les membres d’un tiers-lieu appelé LaGrappe à Gambetta à Lille. Sur ce site, une forte concentration d’entreprises utilisent ces bureaux pour travailler. St So Bazaar s’est donc renseigné auprès des travailleurs sur ce qui était à changer, selon eux, sur leur espace de travail. De ce fait, les travailleurs de LaGrappe ont déjà prévu d’investir les futurs locaux de co-working de St So Bazaar car ils savent qu’ils y trouveront les modifications qu’ils ont proposé. Le rayonnement de LaGrappe s’exporte dans d’autres parties de la ville. Cette première initiative permet donc d’intégrer un peuplus des entreprises déjà viables et développées qui sont nécessaires à la collaboration. Pour qu’une collaboration soit efficace et intéressante il est important d’avoir des structures différentes autant sur leur taille que sur leur nature ou encore sur leur niveau de développement.

Ce qui coince dans la collaboration est aussi l’élément qui la rend intéressante.

Il faut pouvoir faire interagir les usagers, les designers et les grandes entreprises à l’initiative des projets. Les politiques publiques s’intéressent à de nouvelles problématiques qui se veulent plus égalitaires et démocratiques. Le but est de faire participer des utilisateurs de tous bords. Nous nous sommesparticulièrement concentrés sur l’espace de travail comme lieu de collaboration grâce à la création des tiers-lieux. L’importance des tiers-lieux dans l’aménagement urbain n’est pas à négligé car c’est l’avenir du travail en commun fruit de projets nouveaux et d’initiatives innovantes.

Une nouvelle vision de la co-création d’équipement renverse les hiérarchies initialement établies. D’habitude on se contente de dire « on a besoin d’une table, d’une chaise », à l’acteur en charge du lieu qui les commande et les installe. Ici ce nouvel équipement colle mieux aux usages atypiques qui peuvent naitre dans ces lieux sans mobilier standards.

De ce fait, l’aménagement de l’espace d’un tiers-lieu est une façon de réactualiser lacollaboration et le design presque quotidiennement. Prendre part au processus deco-construction contribue à donner un sentiment d’appartenance au lieu. C’est lorsque le lieu est déjà construit que les usagers deviennent des designers qui s’approprient leur espace de travail.

Un article écrit par Andréa Dague et Diane Darbon, deux étudiants de la majeure métiers des relations public/privé Sciences Po Lille.