Partenariats atypiques, acteurs hétérogènes: initiatives ambitieuses ou nouvelles conceptions de la société de demain?

Aymeric Jaillais, Lucas Crouzetet Cheverry et Theo Mannechez

Partenariats atypiques, acteurs hétérogènes: initiatives ambitieuses ou nouvelles conceptions de la société de demain?

Aujourd’hui en France, 1000 écoles doivent être rénovées pour cause d’ancienneté et de vétusté. Ce chiffre préoccupant interroge sur les capacités des acteurs publics à agir seul pour rénover de façon durable les bâtiments publics. Le rôle des acteurs privés peut alors être d’agir en complément pour faire face à ces carences à travers la collaboration entre le secteur public et le secteur privé. De nouveaux acteurs hétérogènes, s’avérant parfois plus originaux, se greffent à ces partenariats, comme des associations, des écoles avec leurs étudiants et des citoyens pour ne citer qu’eux, aboutissant à des partenariats atypiques. 

            Ainsi, depuis plusieurs années maintenant, l’Etat et le secteur public en général collabore aux côtés d’acteurs privés comme des entreprises, des associations mais aussi des collectifs citoyens dans le cadre de contrat de partenariats public-privé. Ces contrats peuvent être de différentes natures, ce qui génère une complexité provoquée notamment par la multitude des acteurs entrant dans la réalisation de ces projets. Les deux cas étudiés ici, Eco-rénovations d’écoles et Métamorphoses silencieuses se posent en parfaits exemples de la multiplicité d’acteurs hétérogènes qui peuvent agir dans le cadre de partenariats public-privé. Le premier concerne les rénovations d’écoles de manière à faire de ces écoles des lieux propices ces au développement durable et à la transition écologique. Ce projet est immense car plus de 1000 écoles sont à rénover, dans un délai d’environ 10 ans. La finalité visée étant de repenser la place de l’institution que représente l’école, dans sa dimension sociale et son inclusion territoriale, le projet s’avère des plus ambitieux car il n’est pas une simple rénovation entrant dans des critères éco-responsables mais bien une redéfinition de ce qu’est et ce que doit être l’école et sa place dans un territoire. Le second, quant à lui, concerne la protection de territoires au titre de la protection de l’environnement, notamment dans des territoires du Nord de la France. 

            Les deux projets étudiés ont la particularité de mobiliser de nombreux acteurs, créant ainsi des partenariats complexes. Ces POC nous offrent alors un exemple atypique de partenariat, se différenciant du simple contrat traditionnel entre des acteurs privés et des acteurs publics. Toute la société civile est désormais intéressée à l’idée de participer à divers projets et les pouvoirs publics travaillent de plus en plus avec elle dans le cadre de partenariats atypiques. Mais c’est aussi peut être là que se jouent les principales difficultés de ces partenariats : comment faire collaborer et oeuvrer des acteurs aux origines et aux motivations diverses vers un but final commun ? Peut-on faire travailler des acteurs de divers horizons pour obtenir des résultats et donc légitimer l’action d’acteurs privés ? Dans ces questions, que nous sommes légitimement en droit de nous poser, résident pourtant les enjeux et la réussite de ces partenariats. 

            Dans le champ du public, le partenariat est devenu le maître mot des institutions et des acteurs des politiques publiques. L’idée du partenariat est de joindre les compétences, les ressources et les efforts de différents acteurs pour essayer de réaliser un projet de société de la manière la plus efficace et efficiente possible certes, mais aussi de chercher à le réaliser d’une nouvelle manière, sous une approche et un prisme plus original. S’il y a bien une notion d’association dans le partenariat, elle n’est pas seulement pensée sur la base de communautés. En effet, le partenariat est aussi, et surtout, conçu sur la base des différences existantes donnant lieu à une relation partenariale paradoxale, dans certains cas, interactive et évolutive. En 1993, Zay et Gonnin-Bolo ont défini le partenariat comme « le minimum daction commune négociée » lors du colloque « Etablissements et partenariats » tenu à l’INRP. Cette définition permet de distinguer, d’une part, la notion de la « sous-traitance » et de la « délégation » qui ne font l’objet d’aucune négociation ainsi que, d’autre part, du « sponsoring » marquant l’engagement financier, et simplement financier, d’un acteur auprès d’un autre au profit d’une valorisation de son enseigne. Il est alors possible de poser le partenariat comme une action inscrite dans l’intervalle de deux ou plusieurs organisations visant à résoudre un problème reconnu comme commun à partir des différences de chacun et dans une recherche de complémentarité. 

            Il ressort de cette définition que le partenariat est porteur d’une idéologie, celle de la fin du modèle hiérarchique au profit d’un modèle contractuel. En plus d’être un instrument d’organisation, il est devenu une fin en soi, une valeur de coopération et de mise en commun au profit de la résolution d’une thématique sociétale. Pour cette raison, les partenariats originaux engendrent la création de collaborations entre des acteurs hétérogènes ayant des préoccupations ou des ressentis différents sur la thématique mais qui réussissent à s’accorder sur une vision quant à l’aboutissement d’un projet. Le projet Métamorphoses silencieuses s’est ainsi appuyé sur des étudiants en design pour dessiner les contours d’un projet se voulant adaptable aux exigences de chaque terrain et de chaque population concernée. La relation n’était en aucun cas hiérarchique mais bien une collaboration équitable entre u laboratoire cherchant une expertise particulière sur un domaine précis et des étudiants qui ont eu l’occasion de s’enrichir de cette expérience en mettant en pratique leur savoir théorique. Le projet Eco-Rénovation d’écoles quant à lui se retrouve au coeur d’une immense collaboration entre plus de 110 acteurs de natures diverses et variées, allant de l’entreprise privée à l’administration publique en passant par l’élu et le citoyen désireux de s’investir. L’idée globale qui ressort de ces collaborations entre une multitude d’acteurs hétérogènes par leurs provenances, leurs ambitions originelles et leurs natures n’est autre qu’un échange de savoirs théoriques et de savoir-faire pratiques équitables et réciproques. Il en ressort des projets ambitieux mis au service d’un projet global d’idéal sociétal, comme le montre les exemples de ces cas d’étude. Préexistants au projet maison ville collaborative, ils ont su s’inscrire, par leurs motivations et leurs objectifs visés, dans le cadre de ce projet portant une vision nouvelle et originale de la société de demain. 

            L’hétérogénéité des acteurs constitue en elle-même un défi dans la co-construction du projet. Dans sa réalisation purement conceptuelle, il s’agit souvent de faire travailler ensemble des novices et des experts, des designers et des étudiants par exemple. Le désir d’associer des citoyens à la définition des concepts, s’il offre la possibilité de tenir compte précisément des besoins des principaux concernés, implique de délimiter le champ de leur participation. La co-définition et la mise en place des projets par des acteurs hétérogènes se font alors sur un temps plus long. La réalisation de projets d’une ampleur telle que l’éco rénovation d’écoles implique la participation de divers acteurs (publics et privés) mais nécessite aussi de mobiliser diverses sources de financement. Comme dans tout projet, il s’agit d’une problématique centrale qui peut constituer un frein majeur à la réalisation de ces projets. À ce titre, les partenariats public-privé sont une solution intéressante dans la mesure où ils permettent de compenser la carence de financements publics par des financements privés provenant d’entreprises intéressées par les méthodes employées dans la conception de l’ouvrage en question. Certains projets peuvent impliquer une quête interminable de financements, qui conduit à l’addition de nouveaux acteurs aux projets. Au-delà de la simple question pécuniaire, l’engagement motivé de divers acteurs aux intérêts et finalités visées parfois divergents produit une ambivalence en multipliant et en optimisant la main d’oeuvre associée à la réalisation du projet tout en complexifiant les charges organisationnelles. Ces partenariats complexifient la gouvernance des projets à différents niveaux : le pilotage du projet, les responsabilités (voire l’imputabilité), la régulation, la transparence. 

            En somme, le partenariat peut être présenté sous divers aspects. Il s’agit d’une mise en relation de d’expériences et de savoir-faire très différents. Les partenariats étudiés ici sont aussi l’occasion de redéfinir les rôles de chacun. Le citoyen peut avoir un rôle central dans l’élaboration des projets. Il est, après tout, le premier concerné par l’éco-rénovation de l’école de ses enfants. L’étudiant apporte lui un regard nouveau et une créativité qui, additionnée à l’expérience d’un designer aguerri, peut permettre la réalisation de projets réellement novateurs et durables. La valorisation de cet agrégat de compétences suppose bien sûr une coordination importante ainsi qu’une réelle volonté de tenir compte des avis de chacun. Ces expérimentations, de par les problématiques (notamment financières) qu’elles rencontrent mais aussi de par leurs volontés d’impliquer des acteurs hétérogènes, apparaissent comme des solutions innovantes aux difficultés auxquelles font face les acteurs publics pour proposer seuls des réponses à des problèmes complexes (qui requièrent par essence des réponses collectives). Ce type de partenariat apparaît comme une solution porteuse d’avenir, aussi bien à l’échelle locale que nationale et transnationale.

Un article écrit par Aymeric Jaillais, Lucas Crouzetet Cheverry et Theo Mannechez, trois étudiants de la majeure métiers des relations public/privé Sciences Po Lille.