Atelier « au tour de table » : Design – participation, pouvoir et privilège

Atelier « au tour de table » :

Design – participation, pouvoir et privilège

François Jégou – septembre 2020

« A l’heure où les politiques divisent pour mieux régner, que les crises sociales révèlent des différences accentuées, quelles responsabilités les designers ont-ils quand ils facilitent la participation démocratique des habitants d’un quartier ? » 

C’est la question que posait aujourd’hui Laetitia Wolff[1]en ouverture du premier Atelier « au tour de table » intitulé Design – participation, pouvoir et privilège avec pour recommandation aux intervenants d’aller chercher dans les projets présentés à la Maison POC Ville Collaborative, des recommandations concrètes sur le « comment fait-on ? » en tant que designer.euse face à cette responsabilité.

Ce court article rassemble les principaux enseignements pratiques tirés de ces 2 heures d’échange.

Formaliser son éthique professionnelle 

George Aye, fondateur de Greater Good Studio  dans une vidéo proposée en introduction de l’atelier prend à témoin les étudiants de Parsons New School : « vous avez tous une éthique professionnelle mais comme elle n’est pas formalisée, elle reste floue. Nous avons voulu la rendre opérationnelle ». Aye présente son « Gut Check » ou « check-list de ce qu’on a dans les tripes » en 20 questions à se poser avant de dire « oui, on fait ce projet » ou « non, on ne le fait pas ».

Béatrice Auxent qui représente le POC Cartographie Participative des Cheminées insiste sur l’importance de maintenir des contre-pouvoirs dans un engagement professionnel multiple qu’elle illustre à la fois en travaillant pour une administration territoriale et en étant présidente de l’association de quartier Berkem Label  qui porte la voix des habitants face aux pouvoirs publics.

Construire un objectif partagé

Pour Béatrice Auxent toujours, « on doit poser collectivement un espace d’intérêt commun au début de tout projet multi-partenarial » soit prendre le temps de discuter et construire entre les parties prenantes, ce qui doit constituer un objectif partagé. 

Georges Aye, pragmatique, utilise une phrase à trous à compléter avec le/s commanditaire/s : WE WANT…a person/group of people…TO… new behavior… Par exemple, nous voulons que les enfants à l’école primaire passent de manière plus fluide en secondaire ; nous voulons que propriétaires et locataires pensent leur relation à long terme, etc. La formulation collective de ce que l’on pourrait appeler « une question de projet », pendant de ce qu’est une question de recherche pour une thèse, assure une forme de contrat explicite entre les parties prenantes.   

Travailler dans les interstices 

Le laboratoire d’exploration par le Design d’EDF R&D en collaboration avec l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs se proposent à travers le POC Métamorphoses Silencieuses d’explorer les « cold spot » du territoire soit les endroits oubliés de la Métropole de Lille. Anna Bernagozzi, professeure aux Arts Déco insiste sur un design qui part du territoire, de l’écoute des habitants et qui se propose de reconstruire la résilience des territoires en travaillant sur les interstices, les lieux laissés pour compte qui sont aussi des endroits de moindre tension et attention offrant plus de possibilité de réinventer. 

En échos mais à une toute autre échelle, Béatrice Auxent qui préside aussi l’association VivaCité Hauts-de-France, un réseau d’acteurs pour l’éducation à environnement urbain organise des conférences « sur le temps du midi, pour que les gens puissent participer sans avoir à demander l’accord de leur hiérarchie ». Les interstices plus que le prime-times sont propices à restaurer la capacité à agir.

Une approche de « modestie et de sérendipité »

Audrey Alonso et Soumaya Nader du collectif Poulp expliquent comment, dans le cadre du POC Les Tisserands, une maison des associations à Lomme, elles cherchent à « passer le pouvoir aux habitants »« On rentre dans le PMU. Au début les gens nous snobent un peu mais on commence à discuter avec eux et seulement après on parle de l’enquête que l’on est en train de faire ». Loin d’un panel représentatif, Poulp fait confiance à une forme de sérendipité pour recueillir la parole des habitants. 

La candidature de Lille Métropole 2020 World Design Capital repose de la même manière, sur un appel à projets – un appel à POC – très ouvert dont émergent plus de 600 initiatives qui forment une sorte de « révélateur qualitatif » des transformations en émergence sur le territoire. Pour nous, comme nous le développons dans le catalogue de la Maison POC Ville Collaborative , cette approche participe d’une « Acuponcture de Design » : de l’analyse méticuleuse de tous ces points d’acuponcture du territoire émergent une quinzaine de lignes de force d’une ville plus collaborative. L’approche est structurellement « bottom-up ». Caroline Naphegyi, Directrice des programmes de La Capitale parle d’une proposition « modeste » pour donner envie aux acteurs de se mobiliser à l’opposé des grands programmes de développement.

Une approche « par éclats »

Les POC présentés à l’atelier ont en commun les démarches de cartographies participatives : la carte permet à la fois de récolter et de donner à voir les contributions des uns et des autres. En même temps, la carte met à plat les différentes contributions. Elle présente un niveau de lecture pratique mais uniformisé. 

Restituer la complexité d’un tissu social, le vécu d’un quartier, appelle une démarche multi-canal d’abord dans la récolte « frapper aux portes, rencontrer les gens dans la rue, cartographier, se présenter sans dire ce qu’ils faisaient et qui ils étaient, etc. les étudiants étaient libres d’essayer tous les moyens qu’ils voulaient pour explorer les Cold Spot » précise Anne Bernagozzi.    

Dométhilde Majek, Rives Nord engagée dans un autre POC de cartographie participative du quartier de Berkem montre la restitution des témoignages des habitants sous forme d’une récolte de curiosités : un livret de photos, une carte postale, un collage de dessins d’enfants, etc. Cette fois-ci une restitution multi-canal. « C’est une restitution par éclats » déclare Béatrice Auxent commanditaire du POC. 

Deux heures d’échanges sont trop courtes pour épuiser un sujet tel que la responsabilité du design dans l’engagement des processus de design participatif mais elles permettent de collecter une série de points de passages intéressants : une approche modeste, centrée sur les interstices, une approche plurielle de co-construction du sens du projet qui fait la part belle au hasard, où l’éclat n’est pas celui du design qui brille mais bien un éclat du design qui réfléchit et se réfléchit sur le monde qui l’entoure.  

Laetitia Wolff – Participation, pouvoir et privilège


[1]Laetitia Wolff modératrice invitée est consultante en design, stratège en ingénierie culturelle, commissaire d’exposition, et auteure passionnée par la construction de passerelles entre le design et la ville. https://fr.linkedin.com/in/laetitia-wolff-31a6193