Favoriser le « vivre ensemble » par la collaboration

Jeannie Rabearinaivo et Bylitis Leibovici

Favoriser le « vivre ensemble » par la collaboration

Serait-il possible d’imaginer, de créer des lieux, des espaces « innovants » afin de favoriser le la coopération ?  Faciliter le « vivre-ensemble », c’est l’ambition que se donnent les tiers-lieux, nouveaux espaces collaboratifs. 

« Une nouvelle forme d’individualisation touche les sociétés occidentales depuis une vingtaine ou une trentaine d’années » décrit le politologue Christian Le Bart. Selon lui, aucune société ne constitue en elle-même une sorte de « corps social homogène ». Chacune est constituée d’une multitude d’individus avec leurs intérêts et leurs objectifs particuliers. La rencontre entre chacun de ces individus doit donc être, en quelque sorte, provoquée, incitée par des initiatives. C’est le rôle des lieux de convivialité, de sociabilité, où chacun se rencontre, partage des expériences et apprends de l’autre : ce sont des espaces du « vivre-ensemble ».

Comme le montre Le Bart, ceux-ci tendent à disparaitre à mesure que nos sociétés s’individualisent. On peut constater un certain « repli » des individus sur eux-mêmes. Comment lutter alors contre le culte du « chacun pour soi » ? La réponse peut se trouver dans l’innovation sociale et la création de tiers-lieux dont l’essence repose sur le souhait de recréer un « vivre ensemble » qui aurait été perdu ou oublié. Ces « nouveaux espaces communs » suscitent un intérêt tel qu’ils font l’objet d’appels d’offre, impulsés par les pouvoirs publics, comme dans le cas de « Réinventer la Seine » ou encore « Imagine Angers». Les acteurs associatifs ou privés interviennent en tant que porteurs de projets afin de répondre à ces appels. Ces appels à projets sont placés sous le signe de l’innovation, du design et de la collaboration inter-acteurs, ce sont des APUI ou appels à projet urbain innovant. On peut ainsi évoquer, dans cette perpective, des initiatives, parfois publiques, parfois privées, souvent locales, qui répondent à cette nouvelle aspiration de renouer du lien social. La collaboration et le design deviennent alors des enjeux de transition, de transformation d’un lieux afin d’en faire

émerger un espace alternatif créateur de liens sociaux, de mixité sociale et de convivialité, comme au Cours Saint-So, à Lille, par exemple, où une friche urbaine se transforme en potager, en barbecue, en terrain de pétanque en accès libre. Ces innovations, à dimension sociale, constituent de nouvelles formes de coopération entre citoyens et acteurs publics et privés. Tisser du lien social devient un objectif primordial dans nos sociétés compartimentées. Dans quelle mesure de telles initiatives permettent-elles de mettre en relation des publics aux trajectoires sociales différentes autour d’un même projet collaboratif ? Comment les tiers-lieux peuvent-ils faciliter la création du vivre-ensemble et quelles sont les défis qui se présentent ?

Les caractéristiques des nouveaux lieux du vivre-ensemble

Pour faire émerger des logiques collaboratives, les lieux et services suscitent chez les usagers des possibilités d’utilisation : c’est le concept même d’affordance.  Définie dans les années 1970 par le psychologue Gibson, l’affordance désigne les actions possibles entre un objet et un individu. C’est un concept générique applicable à plusieurs domaines. Dans des espaces ou services, l’affordance favorise la collaboration entre les usagers et la création d’une communauté. Pour faire émerger des logiques collaboratives, les lieux et services suscitent chez les usagers des possibilités d’utilisation : c’est le concept même d’affordance.  Définie dans les années 1970 par le psychologue Gibson, l’affordance désigne les actions possibles entre un objet et un individu. C’est un concept générique applicable à plusieurs domaines. Dans des espaces ou services, l’affordance favorise la collaboration entre les usagers et la création d’une communauté. Les tiers-lieux, nouveaux espaces collaboratifs, cherchent ainsi renouveler les opportunités pour les publics de se rencontrer et de faire des choses ensemble. Par ailleurs, les tiers-lieux ont une vocation économique et sociale forte : économie de partage, entraide, troc… y sont monnaie courante.

Un commerce au service d’une résidence

Située au pied d’une résidence HLM, la Voisinerie a ouvert ses portes en décembre 2019. Lieu solidaire alliant conciergerie et restauration, ce tiers-lieux institue une forme de convivialité entre les publics, souvent des personnes en grande précarité ou bien en situation de handicap. 

 La Voisinerie de Wazemmes, café-restaurant-conciergerie est née de cet esprit ; située à mi-chemin entre deux quartiers lillois, la Voisinerie brasse tous les jours des publics hétérogènes depuis son ouverture en décembre 2019. De nombreuses activités y sont organisées afin de créer du vivre-ensemble et inciter les usagers à se rencontrer : vide-dressing, réunions d’associations locales, garderies d’enfants… Un service de conciergerie vient par ailleurs s’ajouter à la simple prestation de café-restauration. Dans son rapport sur le co-working de 2018, intitulé « Faire ensemble pour mieux vivre ensemble », le Commissariat général à l’Égalité des territoires (CGET) met en exergue l’importance des tiers lieux sociaux comme la Voisinerie en affirmant l’importance d’aller « vers une société du « faire ensemble » qui sera plus efficace pour faire réémerger le vivre ensemble ». Tout cela s’inscrit bien évidemment en faux contre les logiques individualistes. 

D’autres projets de tiers-lieux sortent de terre, afin de créer une nouvelle manière de vivre ensemble, tout comme certains des projets liés à l’appel d’offre « Réinventer Paris » lancé en 2015. On peut par exemple citer le projet « Stream Building » qui vise à créer un immeuble de bureaux doublé d’un espace communautaire où l’on peut se « nourrir, travailler, se rencontrer, séjourner ». L’objectif est de faciliter la socialisation et les rencontres entre les employés des bureaux en proposant une plateforme d’hospitalité et de co-living multi-fonctionnelle (espaces de coworking, épicerie, restaurants, potager participatif, etc). On peut donc considérer ce lieu comme un tiers-lieux social reposant sur le développement du co-living au travail. 

Ces projets font écho et participent d’une évolution plus globale, en terme de réaménagement urbain, dans une nouvelle manière de concevoir les espaces publics dans une optique collaborative comme dans les cas de la Recyclerie à Paris ou du « Darwin Ecosystème » à Bordeaux (des espaces de collaboration, de partage et d’échange). Ces lieux, par leur design si particulier, facilitent la rencontre. Par exemple, située dans ancienne gare désaffectée, la Recyclerie a été désignée afin de répondre aux attentes des utilisateurs à chaque instant. C’est un espace modulable, doté d’une salle principale d’un atelier, d’une ferme urbaine et d’une terrasse. Construit dans une

caserne militaire désaffectée, « Darwin » comporte un restaurant bio, une épicerie, un espace de coworking, un skatepark et des ateliers. Ce sont donc des lieux « multi-espaces », conçus, pensés, afin de convenir au grand nombre, favorisant ainsi des logiques de vivre-ensemble. Le design, ici, facilite le rapprochement, la collaboration entre les publics

Créer une communauté, le défi des lieux du vivre-ensemble

Dans ces tiers-lieux, la participation proactive et la créativité des usagers sont importantes. Le géographe Richard Florida en théorisant son concept de « classes créatives » mettait déjà en avant l’importance de la créativité à l’échelle de la ville. De ce fait, les lieux du vivre-ensemble sont des laboratoires de la démocratie à petite échelle. La Voisinerie invite par exemple les résidents du HLM à prendre part à l’administration du café-restaurant.  Dans les faits, cela est innovant et participe des logiques de collaboration. Cependant, la démarche pour ces habitants peut paraître à rebours de ce qu’ils connaissent et savent faire ; la culture et les principes de l’économie sociale et solidaire, aussi bénéfiques soient-ils, soulèvent des enjeux d’éducation. Faire partie d’un sociétariat et participer à des conseils d’administration n’est pas inné et s’apprend. Des barrières cognitives existent et peuvent donc freiner la création de logiques collaboratives. Par ailleurs, la dynamique de la rencontre avec les habitants de son quartier nécessite un processus de rapprochement et de socialisation continu. Un article paru en janvier 2018 dans la revue ActualitéHabitat questionne à juste titre la principale limite des cette injonction à « voisiner » : une communauté prend du temps à se former et à s’installer durablement. 

Par exemple, 90% des résidents du HLM n’ont pas encore visité la Voisinerie. Tous les acteurs du projet sont cependant mobilisés pour faire naître chez cette population l’envie de fréquenter et  de s’approprier les espaces : y venir boire un café pour commencer, rencontrer ses voisins et les habitants du quartier, participer aux événements organisés (goûters, cours de cuisine, vide-dressings, ateliers pour les enfants), etc.

La constitution d’un « espace communautaire à la carte« 

Lauréat de l’appel à projets innovants (APUI)« Réinventer Paris »lancé par la mairie de Paris en 2015, le projet « Stream Building », développé par l’agence PCA-STREAM, est innovant dans le fait qu’il va proposer des espaces et services à la carte, un véritable écosystème de co-living et de co-working, privilégiantalors les organisations collaboratives et le partage.

Quelle perspective pour ces nouveaux lieux du vivre ensemble ?

Face à l’individualisation de la société, les lieux du vivre-ensemble se réinventent. Les intentions de ces lieux sont bonnes, les défis à relever multiples : il faut encourager et faciliter la rencontre, favoriser des logiques économiques alternatives, etc. La création des tiers-lieux dans nos villes et quartiers répond de cette nécessité de recréer du lien. La pleine intégration des principes du design

permet à ces tiers-lieux de favoriser les logiques de collaboration. Mais rapprocher les altérités n’est pas toujours évident : biais cognitifs et sociologiques, sentiment d’exclusion… sont autant de défis à relever afin de s’assurer de créer un sentiment de rapprochement continu. Il reste cependant important et nécessaire de saluer la mise en œuvre de toutes ces initiatives qui tentent de relever les défis du vivre-ensemble et de l’intégration et inclusion sociale pour tous.

« Construit dans une caserne militaire désaffectée,  « Darwin » comporte un restaurant bio, une épicerie, un espace de coworking, un skatepark, des ateliers… Ce sont donc des lieux multi-espaces, pensés dans leur design, afin de convenir au grand nombre ». 

« Darwin Ecosystème » à Bordeaux

« Au Cours Saint-So, à Lille, par exemple, où une friche urbaine se transforme en potager, en barbecue, en terrain de pétanque en accès libre. Ces innovations, à dimension sociale, constituent de nouvelles formes de coopération entre citoyens et acteurs publics et privés ».

Le Cours Saint-So à Lille 

Un article écrit par Jeannie Rabearinaivo et Bylitis Leibovici, deux étudiantes de la majeure métiers des relations public/privé Sciences Po Lille.